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— Non, non, père… il a été bien sage et bien poli !

— Sage et poli, ricana Maître Turcot, voyez-vous ça ! Tu mens, Hermine ! Tu m’as menti hier ! Qu’on me dise à présent ce qu’il faut penser d’une fille qui ment ainsi à son père ! Hein ! dis… que veux-tu que je pense de toi ! Ah ! je te dompterai, vilaine !

Il saisit la pauvre enfant, la souleva au bout de ses bras puissants et la serra avec force. Sa face rouge devenue blanche était si effrayante à voir, et il y avait une telle menace de mort dans ses yeux ensanglantés, qu’Hermine ferma les siens.

Lui, tout à coup, poussa un cri strident suivi d’un rire affreux : il venait de voir surgir hors du corsage de la jeune fille un papier… le message de Cassoulet. Il laissa retomber Hermine sur la bergère, enleva le papier et se mit à le lire en jurant et en blasphémant.

— Ah ! oui, c’était bien lui ce Cassoulet, ce manchot, ce nain de satan d’enfer ! Oh ! il emporte ton mépris dans la tombe, hein ? Eh bien, si demain il ne l’a pas encore emporté, crois-moi, il l’emportera et avec mon souvenir à moi !

Il déchira le papier, le froissa, le jeta par terre et le piétina avec rage. Il avait l’air fou. Puis, repris d’une nouvelle sorte de rage, il se jeta sur le canapé pour rugir, pleurer, mordre…

Durant un long moment et au travers de jurons, de paroles indistinctes, de cris, de vociférations, on pouvait saisir ces mots proférés avec une haine farouche :

— Je le tuerai ton Cassoulet maudit… je le tuerai…


IV

LA MAIN DE FER


Le soleil était haut lorsque Cassoulet fut réveillé par l’entrée dans sa mansarde d’un domestique qui lui remit une lettre.

Il frotta ses yeux avec étonnement, lut la souscription sur l’enveloppe et, ne reconnaissant pas l’écriture, hocha la tête et murmura :

— Ah ! diable, qui donc m’envoie de ses nouvelles de si matin !

Il paraissait avoir oublié son aventure de la veille.

Il renvoya le domestique et courut à sa fenêtre. Il sursauta de surprise en découvrant que le billet venait d’Hermine. Puis il sauta de joie folle. Mais soudain il fut pris d’un tel tremblement qu’il dut se rasseoir pour ne pas tomber.

« Vivez… vivez… vivez ! »… disait la lettre.

Vivre !… ah ! oui, il allait vivre ! Cassoulet le jurait fermement, de même qu’il avait juré fermement de se faire tuer ce jour-là par les Anglais. Se faire tuer !… Serait-il bête un peu ? Ne serait-ce pas insensé de se faire tuer, quand on lui disait de vivre ! quand on lui disait qu’on avait pour lui de l’amitié ! quand on semblait dire qu’on l’aimait !… Oui, il n’y avait pas de doute là-dessus : Hermine l’aimait ! Elle le disait presque clairement.

— Ah ! elle m’aime !… murmura le lieutenant, les yeux en extase au plafond de sa mansarde.

Était-ce bien possible ? N’était-ce pas un rêve insensé ?

— Mais cette lettre !… se dit Cassoulet.

Il la baisa ardemment.

— Elle m’aime !…

Il parut s’évanouir en se laissant retomber sur son lit de sangle.

— Elle m’aime !…

Soudain il bondit, se rua vers le lavabo sur lequel se trouvait une cuvette d’eau, et dans la cuvette il plongea la tête, frictionna son visage, frotta ses mains et s’essuya hâtivement.

— Elle m’aime !… se disait-il toujours ivre d’une joie folle.

Il ouvrit son garde-robe, en tira un magnifique manteau d’un beau gris, une redingote d’un gris non moins beau, une culotte de soie noire, des bas blancs, des souliers en cuir verni et à boucles d’argent. Il se vêtit minutieusement. Puis il ajusta un superbe jabot de dentelle fine des Flandres, arrangea soigneusement ses cheveux qu’il poudra et parfuma, se couvrit d’un splendide bicorne à belle plume blanche et s’arma de sa rapière. Ainsi paré, il se contempla dans son miroir.

Il se sourit.

— Je ne suis pas si laid qu’on pense ! murmura-t-il.

Ses yeux brillaient comme des flammes ardentes. Son visage maigre et bistré se colorait… mais de rougeurs de fièvre. Qu’importe ! Mais tel qu’il apparaissait dans son miroir, il n’était pas mal du tout. Et il avait un air si conquérant, quand il redressait et haussait sa petite taille, quand