Page:Feron - Le manchot de Frontenac, 1926.djvu/37

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
35
LE MANCHOT DE FRONTENAC

gardes qu’il n’avait plus rien à lui dire, le comte se remit à écrire.

— C’est bien, Excellence, dit Cassoulet en s’inclinant, j’irai trouver Monseigneur.

Quoique un peu déçu, Cassoulet se disait en se retirant :

— Oh ! je tiens quelque chose qui me fera bien gagner la partie contre Maître Turcot !…

Il pensait à sa découverte au logis du suisse

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Tout homme énergique et autoritaire qu’il était, Mgr de Saint-Vallier était aussi un homme charitable et généreux. Il aimait à tendre sa main au faible, le secourir, l’appuyer dans ses droits, et souvent il gagnait la cause du pauvre diable contre qui voulait se montrer plus fort. Que de misères physiques il avait secourues sous son toit hospitalier ! Que de misères morales il avait relevées ! Quiconque frappait à sa porte était assuré de se voir ouvrir et accueillir, comme un brave père aurait accueilli son fils misérable. Sous le toit du palais épiscopal, c’était le pasteur, le vrai père qui recevait ses enfants, tendre, doux, réconfortant, affable, et toujours le bon conseil à donner. D’un autre côté, dans la lutte pour les droits de l’Église, c’était le général fougueux, inébranlable, agressif même. Alors, gare à lui, si l’on n’était pas de son côté !

C’est donc à cet homme — qu’on pourrait dire plus puissant que le gouverneur — que Maître Turcot, son suisse, était allé confier sa fille.

— Mais oui, mon ami, avait répondu l’évêque, mais certainement, elle sera ici en toute sûreté. Soyez tranquille.

C’est ainsi qu’il avait accueilli le suisse.

— Et quant à toi, ma fille, avait-il ajouté, tu tiendras compagnie à ma pauvre sœur infirme, tu l’égayeras, et tu trouveras en elle autant qu’une mère.

Et la pauvre Hermine avait été confiée à Mlle de Saint-Vallier, une vieille fille malade, grincheuse, qui avait ses appartements séparés de ceux de son frère qu’elle essayait, mais sans y réussir, de diriger dans les affaires spirituelles comme temporelles. Cet insuccès de gouverner était peut-être ce qui rendait son caractère si acariâtre.

Hermine n’était donc pas une prisonnière, comme l’avait pensé un peu Cassoulet, mais guère mieux : car elle ne pouvait sortir. Elle ne pouvait pas même se rendre à la cathédrale où elle aimait tant aller prier sous les voûtes sombres et mystérieuses ; dorénavant elle accomplirait tous ses exercices pieux avec Mlle de Saint-Vallier dans l’oratoire de l’évêché.

La pauvre jeune fille avait accepté la protection de Monseigneur l’évêque comme elle aurait accepté celle d’un geôlier ; car elle s’imaginait qu’on voulait la séparer de Cassoulet qu’elle aimait… oui, qu’elle avait aimé, elle aussi, tout d’un coup !

Heureusement, comme elle traversait la Place de la Cathédrale en compagnie de son terrible père, elle avait croisé le gamin de la mère Benoit, le petit Paul, qui revenait justement de sa course au château où il était allé porter le message d’Hermine.

À cet instant, Maître Turcot répondait au salut d’un passant et son regard se trouvait détourné de sa fille. Celle-ci vivement se pencha à l’oreille du gamin et lui souffla rapidement ces mots :

— Dis à monsieur Cassoulet, si tu le vois, que je m’en vais rester sous la protection de Monseigneur l’évêque !…

Le gamin s’était éloigné avec un sourire qui signifiait qu’il avait compris.

Quant à Maître Turcot, il n’avait rien vu ni entendu.

Hermine s’était sentie très malheureuse en mettant les pieds dans le palais épiscopal, d’autant plus qu’elle était habituée à vivre seule et avec la plus grande liberté de va-et-vient. Elle ne pleura pas, mais elle en eut envie. Elle voulait paraître forte, feindre de trouver sa nouvelle position fort agréable, et travailler ainsi plus sûrement à son évasion. Oui, Hermine avait de suite conçu l’idée de s’échapper de cette maison qui avait semblé une geôle. Oh ! si Hermine n’était encore qu’une enfant, on peut dire qu’elle était une enfant forte. Elle avait de l’énergie, de la volonté et de l’initiative. Elle était douée d’une fermeté de caractère rare dans une jeune fille de dix-sept ans, et elle était de cette race de femmes, comme il y en avait tant à cette époque, qui ne craignait pas de prendre le mousquet et de faire le coup de feu contre les Anglais ou contre les Sauvages.

Ce qui, ensuite, manqua de faire les délices d’Hermine, ce fut de se voir accueillie par la vieille Mlle de Saint-Vallier avec une petite moue de dédain. Hermine, nous l’avons dit, était jolie, très jolie, jolie à tourner plus d’une tête, belle à croquer comme on dit souvent. Par contre Mlle  de Saint-