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FABLE LXXII.

LE VOYAGEUR MALHEUREUX.


Chez les sauvages d’Amérique,
Ou bien dans l’Inde ou dans l’Afrique,
Depuis vingt ans un Français commerçoit.
Sa conscience en tout point le guidoit ;
Sa fortune aussi fut modique.
Croyant jouir d’un meilleur sort,
Lassé de son errante vie :
Et désirant de revoir sa patrie,
Il s’embarque gaîment et fait naufrage au port.
Tout y périt par un affreux orage.
Excepté lui, vaisseau, passagers, matelots,
Tout fut englouti dans les flots.
Content d’être épargné, se sauvant à la nage,
Après nombre d’efforts le voilà sur la plage
Tel qu’au terrestre paradis
Du genre humain on peint le premier père.
Dieu soit loué, dit-il, j’arrive en mon pays !
J’y laissai quelque bien, des parens, des amis ;
Je ne puis craindre la misère.
Qu’avec plaisir surtout je reverrai mon frère,
Qui m’aimoit et que je chéris !
Tout ruisselant de l’onde amère,
Il se présente à son logis,
Le revoit, l’embrasse, le serre
Contre son sein ; mais l’autre en fuyant de ses bras,
Lui dit : sur mon honneur, je ne vous connois pas :
Mon frère est mort depuis quelques années ;
Oui, plusieurs voyageurs m’ont dit