Le fleuve débordé ravage en un clin d’œil
Le domaine, qu’il change en un vrai champ de deuil ;
Il semble tout broyer sous sa marche assassine ;
Des arbres les plus hauts il cherche la racine ;
Il entraîne, engloutit cabanes et troupeaux,
Et porte Agib lui-même… à l’éternel repos : —
Car un beau crocodile et vous happe et vous mange
Le grand propriétaire et le seigneur du Gange !!…
Apprenez, chers lecteurs, à ne rien souhaiter
Au delà de l’objet qui doit vous profiter.
— Voyez, par le succès de sa folle demande,
Qu’Agib a mérité plus qu’une réprimande ;…
Eh bien ! le même écueil vous menace aujourd’hui,
Et tout ambitieux qui prétend, comme lui,
Obtenir du ciel juste une part inutile
Pour être un jour croqué trouve son crocodile.
![Séparateur](http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/7/74/Sep4.svg/100px-Sep4.svg.png)
LE CHANT DES FEUILLES.
Ballade.
« Bruis, bruis,
Forêt mystérieuse ;
Ma lyre est curieuse,
Bruis.
Dis-moi la douce plainte
Qu’Angéla
Dans ton ombreuse enceinte
Exhala. »
Et la brise frémit et la forêt parla :
Angéla n’avait plus de père.
Tout le jour elle était aux champs ;
Le soir elle amusait sa mère
Par ses chants.
Mais sa mère pliait sous l’âge,
Oublieuse de ses beaux jours,
Et s’en allait disant toujours :
— « Soyez sage !
« Pas d’amours ! »
Las ! à seize ans l’âme est si tendre !
Angéla promettait en vain.
Un soir elle se fit attendre…
La nuit vint !
— « Sors d’ici ! » s’écria sa mère
Quand la timide enfant rentra ;
« Te donne asile qui voudra ;…
« Ma colère
« Te suivra ! »
Angéla, du logis chassée,
Vint et s’assit là, tout en pleurs,
Disant d’une voix oppressée
Ses douleurs :
— « Mère, Dieu bénisse la porte
« Qu’aujourd’hui ta main me défend !… »
Et, dans ses sanglots étouffant,
Tomba morte…
Pauvre enfant !
Et lorsqu’on fut dire à la mère :
— « Votre fille vient de mourir, »
Je la vis dans sa peine amere
Accourir :
— « Ta fuite, Angéla, m’est mortelle !…
« Devais-tu laisser notre seuil !!… »
Puis on la mit, comblant le deuil,
Avec elle
Au cercueil.
« Merci, merci,
Forêt, douce interprète ;
Ma lyre est satisfaite…
Merci !
Je sais la douce plainte
Qu’Angéla
Dans ton ombreuse enceinte
Exhala. »
Car la brise frémit et la forêt parla !
Paris. — Typographie de E. et V. PENAUD frères, rue du Faubourg-Montmartre, 10.