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essence du christianisme

plus profonds ont soutenu que les biens terrestres détachent l’homme de Dieu, tandis que le malheur, la souffrance et la maladie l’y ramènent et sont, par conséquent, le seul état qui convienne au chrétien. Pourquoi ? parce que dans le malheur l’homme n’a que des idées et des sentiments pratiques et subjectifs, qu’il ne pense qu’à une seule chose, ce dont il a besoin ; qu’alors le besoin de Dieu est profondément senti. Le plaisir, la joie rendent l’homme expansif ; la douleur le fait rentrer en lui-même Dans la douleur l’homme nie la vérité du monde ; toutes les choses qui enchantent l’imagination de l’artiste et la raison du penseur perdent alors leur charme, leur puissance sur lui ; il se concentre en lui-même, dans son propre cœur. Ce cœur tout entier à son isolement, ne trouvant qu’en lui sa consolation, niant le monde et la nature et n’affirmant que l’homme, ramené sans cesse et uniquement à son intime et nécessaire besoin de soulagement, ce cœur c’est Dieu. Dieu, tel que se le figure la conscience religieuse, et c’est de cette seule manière qu’il est Dieu, c’est-à-dire dans le sens d’un nom propre et non d’un être général, métaphysique, Dieu est objet de la religion, non de la philosophie, de l’imagination, non de la raison, des besoins du cœur, non de la liberté de la pensée ; en un mot, il est un être qui exprime l’essence de la pratique et non l’essence de la théorie.

La religion attache à ses doctrines malédiction et bénédiction, damnation et félicité. Est heureux celui qui croit, malheureux, perdu, damné, celui qui ne croit pas. Elle n’en appelle donc pas à la raison, mais au cœur et à la fantaisie, mais à notre désir de bonheur, mais aux sentiments de l’espérance et de la crainte.