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essence du christianisme

La marche du développement de la religion, signalée plus haut, consiste plus précisément en ce que l’homme ôte de plus en plus à Dieu pour s’attribuer de plus en plus à lui-même. Dans les temps modernes, chez un peuple civilisé, on regarde comme un don de la nature ou de la raison, ce que dans les temps primitifs, chez un peuple barbare, on regardait comme un don de Dieu. Tous les penchants naturels de l’homme, même le penchant à la propreté, étaient regardés par les Israélites comme des ordres positifs, comme des commandements de la divinité, et l’on voit par cet exemple que Dieu est d’autant plus abaissé, d’autant plus mesquinement humain, que l’homme renonce plus à lui-même. Comment l’homme peut-il aller plus loin dans l’humilité, dans la négation de lui même, que lorsqu’il se refuse la force d’accomplir volontairement les actes de la plus vulgaire convenance ? La religion chrétienne fit une distinction entre les affections et les penchants de l’homme d’après leur nature, d’après leur valeur ; pour elle il n’y eut que les bonnes intentions, les bonnes affections, les bonnes pensées qui fussent les affections, les pensées, les résolutions de Dieu. Tout ce que Dieu révèle est une détermination de Dieu ; ce dont le cœur est plein, la bouche l’exprime ; tel effet, telle cause, telle révélation, tel l’être qui se révèle. Elle fit une distinction entre la pureté morale et la propreté extérieure. Les juifs les identifiaient toutes deux. Le Christianisme est, par rapport au judaïsme, la religion de la critique et de la liberté. Le Juif n’osait faire que ce que Dieu ordonnait ; il était sans volonté, même pour les choses extérieures ; même sur les mets de sa table s’étendait