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essence du christianisme

l’intelligence débarrassée des limites de l’individu et du corps, — car l’individu et le corps sont inséparables — que l’intelligence établie et pensée elle-même. Dieu, disaient les scolastiques, les Pères de l’Église et avant eux les philosophes païens, Dieu est un être immatériel, un esprit pur, par conséquent on ne peut se faire de lui aucune image. Mais peux—tu te faire une image de la raison, de l’intelligence ? a-t-elle une figure ? son activité n’est-elle pas la plus insaisissable, la plus difficile à se représenter ? Dieu est incompréhensible ; mais connais-tu la nature de l’intelligence ? as-tu sondé la mystérieuse opération de la pensée ? la conscience de soi-même n’est-elle pas l’énigme des énigmes ? Les anciens mystiques, scolastiques et Pères de l’Église n’ont-ils pas comparé la difficulté de comprendre et de se représenter l’esprit divin avec la difficulté de comprendre et de se représenter l’âme humaine ? n’ont-ils pas ainsi, en vérité, identifié l’être de Dieu avec l’être de l’homme ? Dieu n’est pas autre chose que la raison se prenant elle-même pour objet. Demandes-tu ce qu’est la raison ? Dieu seul te le dira. Pour l’imagination, la raison est la révélation ou une révélation de Dieu ; pour la raison, Dieu est la révélation de la raison, parce que c’est seulement en Dieu que se manifeste ce qu’elle est et que se montre sa toute-puissance. Dieu est un besoin de l’intelligence, une idée nécessaire, le plus haut degré que puisse atteindre la force de la pensée. « La raison ne peut pas s’arrêter aux êtres et aux choses qui tombent sous les sens ; » ce n’est que lorsqu’elle remonte à l’être le plus élevé, le premier, le nécessaire, accessible à elle seule, qu’elle peut être satisfaite. Pourquoi ? parce que c’est seulement chez cet