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LA RELIGION

XXIII

Le sentiment de notre dépendance de la nature, allié à cette idée que la nature est un être personnel doué d’une activité volontaire, tel est le fondement du sacrifice, l’acte le plus essentiel des religions. Je me sens dépendant de la nature quand j’ai besoin d’elle ; ce besoin exprime et me fait sentir que sans elle je ne suis rien ; mais inséparable du besoin est la jouissance, sentiment tout opposé, sentiment de ma valeur personnelle, de mon indépendance, de ma différence d’avec la nature. Dans le besoin, l’homme a la crainte de Dieu, il est humble et religieux ; dans la jouissance, il est fier, orgueilleux, oublieux de la divinité, méprisant et frivole. Et cette frivolité, ou du moins ce manque de respect dans la jouissance, est pour l’homme une nécessité pratique, une nécessité sur laquelle se fonde son existence, mais qui n’en est pas moins en contradiction directe avec le respect qu’en théorie il a pour la nature : car, du moment qu’il en fait un être vivant, personnel, sensible et égoïste comme lui-même, il doit la craindre et la traiter avec beaucoup de ménagements et d’égards, sachant que comme lui elle est très susceptible et n’aime pas à se laisser prendre ce qui lui appartient. Aussi, toutes les fois que l’homme se sert des choses naturelles, il lui semble qu’il viole un droit, qu’il commet, pour ainsi dire, un crime. C’est pourquoi, afin de faire taire sa conscience et d’apaiser en même temps l’objet que, dans son imagination, il croit avoir offensé, pour lui prouver que, s’il l’a dépouillé, ce n’est pas par insolence ou