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LA RELIGION

par caprice, mais par besoin, il se modère dans la jouissance, il rend à l’objet une partie de ce qu’il lui a pris. Ainsi les Grecs croyaient que, lorsqu’on coupait un arbre, l’âme de cet arbre, la dryade, poussait des gémissements et demandait vengeance au Destin. Aucun Romain n’aurait osé tailler ou couper un buisson dans son champ sans sacrifier en même temps un jeune porc au dieu ou à la déesse de ce buisson. Quand les Ostiaques ont tué un ours, ils en suspendent la peau à un arbre, font devant elle mille gestes exprimant le regret et la vénération et prient ainsi l’ours de les excuser de lui avoir donné la mort ; « ils croient se préserver par cette politesse du mal que pourrait leur faire l’âme de l’animal. » Les tribus de l’Amérique du Nord apaisent les manes des animaux tués par de semblables cérémonies. Pour nos ancêtres, l’aune était un arbre sacré ; lorsqu’il leur fallait l’abattre ils avaient coutume de faire cette prière : « Femme aune, donne-moi de ton bois, je te donnerai du mien quand il croîtra dans la forêt. » Le brahmine ose à peine boire de l’eau ou fouler la terre sous ses pieds, parce qu’à chaque pas, à chaque gorgée d’eau, il tue ou fait souffrir des animaux ou des plantes ; aussi se croit-il obligé de faire pénitence pour se faire pardonner la mort des créatures que, sans le savoir, il pourrait anéantir jour et nuit[1]. »

XXIV

L’essence de la religion se concentre tout en-

  1. On pourrait ajouter à tous ces exemples les nombreuses règles de convenance que dans toutes les anciennes religions l’homme était obligé d’observer à l’égard de la nature, pour ne pas l’offenser ou la profaner.