Page:Feuerbach - La Religion,1864.pdf/124

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
115
LA RELIGION

sible en elle-même, n’est pas cependant en ma puissance dans tel ou tel moment, dans telle ou telle circonstance ; c’est une volonté qui n’a pas la force de se réaliser. Eh bien, ce vœu lui-même a un pouvoir que n’a pas mon corps, que n’ont pas mes forces en général. Ce que je désire ardemment, je l’anime, je l’enchante par mes désirs[1]. Dans la passion, — et c’est dans la passion, le sentiment que la religion a sa racine — l’homme traite les choses mortes comme si elles étaient vivantes, regarde comme arbitraire ce qui est nécessaire anime par ses soupirs l’objet de son amour, parce que dans cet état il lui est impossible de s’adresser à des êtres privés de sentiment. Le sentiment ne garde point la mesure que lui prescrit la raison, il se trouve à l’étroit dans la poitrine, il faut qu’il déborde, qu’il se communique au monde extérieur, et qu’il fasse de l’insensible nature un être sensible comme lui. — Cette nature enchantée par le sentiment de l’homme, devenue sensible elle-même, c’est la nature telle que la conçoit la religion lorsqu’elle en fait un être divin. L’essence des dieux n’est pas autre chose que l’essence du vœu ; les dieux sont des êtres supérieurs à l’homme et à la nature ; mais nos vœux sont aussi des êtres surhumains et surnaturels. Suis-je en effet, encore un homme dans mes vœux et dans ma fantaisie lorsque je désire être immortel ou être délivré des chaînes du corps terrestre ? Non ! Qui n’a pas de désirs n’a pas non plus de dieux. Là où tu n’entends pas des chants funèbres et des lamentations sur le sort

  1. Dans l’ancienne langue allemande le mot (wünschen, désirer) signifie (zaubern enchanter.)