Page:Feuerbach - La Religion,1864.pdf/125

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
116
LA RELIGION

mortel et sur les misères de l’homme là tu n’entends pas non plus des cantiques de louanges en l’honneur des dieux heureux et immortels. Ce sont les larmes du cœur qui, en s’évaporant dans le ciel de la fantaisie, forment l’image nuageuse de la divinité. Homère donne pour origine à tous les dieux l’Océan qui entoure le monde ; mais cet Océan, si riche en divinités, n’est, en réalité, qu’une effluve des sentiments de l’homme.

XXVIII

En général, ce n’est que dans le malheur que l’homme pense à Dieu et a recours à lui ; c’est là un phénomène que les païens avaient déjà remarqué avec blâme, et qui nous conduit à la source même de la religion : car ce sont précisément les phénomènes irréligieux de la religion qui nous en dévoilent le mieux l’essence et l’origine. Dans le malheur, dans le besoin, que ce soit le sien ou celui des autres, l’homme fait la douloureuse expérience qu’il ne peut pas ce qu’il veut et que ses mains sont liées. Mais ce qui paralyse les nerfs moteurs ne paralyse pas toujours les nerfs sensibles ; ce qui est une chaîne pour mes forces corporelles n’en est point une pour mon cœur et pour ma volonté. Tout au contraire, plus mes mains sont liées, plus mes désirs sont exagérés, plus est vive mon aspiration à la délivrance, plus est énergique mon penchant pour la liberté. La puissance surhumaine de la volonté et du cœur de l’homme, exaltée et portée au plus haut degré par la puissance du besoin, constitue la puissance des dieux, pour lesquels il n’y a ni besoins ni obstacles. Les dieux peuvent ce que les hommes désirent, c’est-à-