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LA RELIGION

XXXII

Dès que l’homme devient un être politique, se distingue de la nature, se concentre en lui-même, aussitôt son Dieu devient aussi un être politique et différent de la nature. Pour en arriver là, l’homme doit d’abord par son union avec ses semblables faire partie d’une société dans laquelle des puissances différentes de celles de la nature et qui n’existent que dans sa pensée, telles que les puissances abstraites, morales, politiques de la loi, de l’opinion, de l’honneur, de la vertu, s’emparent de son esprit et lui fassent sentir leur autorité ; il doit en être venu à subordonner son existence physique à son existence civile et morale et à faire de la puissance de la nature qui dispose de la vie et de la mort un simple attribut de la puissance politique. Jupiter est le dieu des éclairs et du tonnerre, mais il n’a dans les mains ces armes terribles que pour en écraser ceux qui désobéissent à ses ordres, les violents et les parjures. Jupiter est le père des rois : aussi soutient-il leur pouvoir et leur dignité avec le tonnerre et l’éclair. La puissance de la nature comme telle disparaît avec le sentiment de dépendance qu’elle inspire à l’homme devant la puissance politique ou morale. Tandis que l’esclave de la nature est si ébloui de l’éclat du soleil que chaque jour il l’implore en s’écriant comme le Tartare : « Ne me donne pas la mort en me perçant de tes rayons ; » l’esclave politique, au contraire, est tellement frappé de la splendeur de la majesté royale qu’il tombe à genoux devant elle comme devant une