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LA RELIGION

les esprits qui résident en eux. Mais ces esprits des êtres naturels ne sont pas autre chose que leurs images imprégnées dans la mémoire, de même que les esprits des morts ne sont que leurs images ineffaçables dans le souvenir, que les êtres autrefois réels devenus imaginaires ; si l’homme religieux les regarde comme existant encore par eux-mêmes, c’est qu’il ne sait pas encore distinguer l’idée de l’objet. Cette pieuse et involontaire illusion de l’homme est dans les religions de la nature une vérité palpable, qui saute aux yeux ; car l’homme y fait des yeux et des oreilles à l’objet de son culte ; il voit, il sait que le tout est fait de bois ou de pierre, et cependant il croit que ce sont des yeux, des oreilles qui voient et entendent. Dans la religion, l’homme a des yeux pour ne pas voir, pour être aveugle ; l’intelligence, pour ne pas penser, pour être stupide. Ce qui dans la réalité n’est qu’une pierre, un morceau de bois, pour elle est un être vivant ; ce qui visiblement est loin d’être un dieu en est un invisiblement, c’est-à-dire dans la foi. Aussi la religion de la nature est toujours en danger de voir ses illusions détruites ; il ne faut qu’un coup de hache pour la convaincre que de ses arbres vénérés aucun sang ne coule, et que par conséquent aucun être vivant, divin, ne les a choisis pour demeure. Comment se délivre-t-elle de ces contradictions grossières auxquelles l’expose le culte de la nature ? Elle fait de ce qu’elle adore un être invisible, qui ne peut être l’objet que de la foi, de l’imagination, de la fantaisie, de l’esprit en un mot, c’est-à-dire un être spirituel.