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V
PRÉFACE

religion dans une époque de science lui semble presque déroger, et c’est pour remplir un devoir pénible qu’il met la main à l’œuvre. Il ne vient pas faire des phrases prétendues poétiques, des complaintes hors de saison sur la ruine de choses qui devaient inévitablement périr ; il cherche à se rendre compte du pourquoi et du comment de leur chute, et à détourner les âmes de leur attachement à un cadavre. Cet attachement est pour lui une gangrène qu’il se propose de guérir, un chancre rongeur qu’il veut extirper ; et ce métier-là ne plaît pas ordinairement aux gens délicats, amis des émotions douces, et qu’un rien fait frissonner. Voilà ce qui explique la vigueur et l’amertume de ses accusations et la rudesse de son style ; mais il ne s’agit pas de faire l’aimable avec les dames et d’être un agréable causeur, quand, au lieu d’avoir à dissiper par des phrases des maladies imaginaires, on est obligé de se servir de la scie et du scalpel.

Qu’il y ait aujourd’hui des questions plus graves à traiter, d’autres plaies à guérir, et même des sujets plus féconds pour la pensée que celui dont il s’occupe, Feuerbach ne se le dissimule pas ; mais l’utilité pratique du but qu’il voulait atteindre lui a paru digne de tous ses efforts. Persuadé d’ailleurs que tous les maux sont, pour ainsi dire, d’accord ensemble et se soutiennent les uns les autres, « si je parviens, s’est-il dit, à briser quelques anneaux de la chaîne qui les unit et qui double leur puissance, la chaîne entière sera plus facilement détruite. Que d’autres l’attaquent vaillam-