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LA RELIGION

dépit d’eux, c’est être une personne absolue rapportant tout à soi. Vie est égoïsme. Quiconque ne veut pas d’égoïsme veut qu’il n’y ait aucune vie. Mais en quoi diffère l’égoïsme religieux de l’égoïsme naturel ? Ils ne diffèrent que de nom. Dans la religion, l’homme s’aime au nom de Dieu ; en dehors de la religion, il s’aime en son propre nom.

LII

Quelle différence y a-t-il entre le culte d’un peuple civilisé et celui d’un peuple sauvage et idolâtre ? La même qu’entre le festin d’un Athénien et le grossier repas d’un Esquimaux, d’un Samoyède ou d’un Ostiaque. Dès que l’homme s’élève à un certain degré de civilisation, il veut se satisfaire d’une manière complète, universelle ; il veut satisfaire les besoins non-seulement de son ventre et de son estomac, mais encore de sa tête, de tous ses sens en général. Alors l’objet du besoin doit être un objet de plaisir, — c’est-à-dire d’un besoin plus élevé : — le nécessaire doit être en même temps beau et agréable. Mais dès que l’esthétique devient un besoin, une nécessité pour l’homme, ses dieux deviennent naturellement des êtres esthétiques, objets d’un culte en rapport avec leur nature. Le nègre crache à la figure de ses dieux les aliments qu’il a mâchés et remâchés, l’Ostiaque les couvre de sang et de graisse et leur remplit le nez de tabac à priser. Combien hideuses, combien dégoûtantes sont ces offrandes à côté de celles des Grecs ! Mais quels étaient les dieux auxquels les Grecs, non pas en imagination mais en réalité, offraient préparés avec art les meilleurs mor-