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LA RELIGION

paraît donc trop bornée pour l’immense univers ; c’est pourquoi tu développes cette vie jusqu’à l’infini et tu la transportes dans d’autres êtres, sur d’autres mondes, comme si les espaces célestes n’étaient ouverts à tes regards que pour te permettre d’y déposer, comme dans des cellules d’abeilles, le miel de tes fantaisies. Mais ici encore tu ne fais que heurter de la tête contre des masses de pure matière, et tandis que tu te figures, en remplissant les espaces, rendre la création complète et parfaite, emporté par la machine à vapeur de ton cerveau excentrique, tu ne vois pas sur la terre un manque énorme, une lacune immense, et cette lacune qui crie contre le ciel, ce manque le plus terrible de tous qui devrait t’effrayer plus que le désert dans l’immensité, cette grande blessure ouverte dans la création, c’est la fin, la négation de la vie elle-même, c’est la mort. Car la mort est le désert le plus triste, le vide le plus effroyable. Il est vrai qu’un nouvel être remplace toujours celui qui est mort ; mais cet être qui est maintenant, qui bientôt ne sera plus, cet être déterminé ne reviendra jamais, il est à jamais perdu ; ce lieu où il vivait sera toujours vide, et l’être qui viendra prendre sa place, par cela même qu’il est différent, ne la remplira pas ; car il faudrait, pour qu’il la remplît, qu’il fut tout à fait le même. La terre entière est par conséquent aussi percée qu’un crible ; aussi poreuse qu’une éponge ; autant de morts, autant d’espaces vides, autant de places inoccupées ; chaque mort est une blessure ouverte dans la nature vivante. Qu’est maintenant le vide de tes corps célestes, vide insignifiant et qui n’existe que dans ton imagination à côté de celui que produit la mort ? O fou ! qui, à force de voir des la-