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LA RELIGION

est objet de l’esprit et en même temps objet des autres hommes. Puisque ta vie entière se transforme ainsi sans cesse en souvenir, et par là se spiritualise, peux-tu regarder la mort comme le terme de cette transformation ? Ne dois-tu pas la reconnaître, au contraire, comme sa révélation et son entier accomplissement ? Tu n’existes déjà dans la vie, pour ce qui regarde la partie de tes jours déjà écoulée, que comme une personne dont tu te souviens et dont on se souvient ; ta vie entière doit se terminer, par conséquent, lorsque tout ton être est devenu enfin un être idéal, lorsque ta personne est devenue une personne objet de l’imagination pure, lorsque tu n’es plus qu’une chose qui se communique et peut se communiquer, un mot, un nom. — Tu ne vis qu’aussi longtemps que tu as quelque chose dont tu puisses faire part aux autres. As-tu tout donné ? Ne reste-t-il plus rien en toi que la dernière et sèche enveloppe de ta personnalité ? Alors tu te donnes toi-même. Cet abandon complet de toi, c’est la mort. La mort est ton dernier mot, dans lequel tu t’exprimes tout entier, par lequel tu te communiques aux autres pour la dernière fois.

De même que la vie de chaque personne particulière, l’histoire de l’humanité n’est pas autre chose qu’une transformation ininterrompue du présent en souvenir, dans laquelle l’esprit métamorphose en sa propre substance les existences indépendantes et fait des individus ce qu’en eux-mêmes ils sont déjà, des objets de sa conscience. Sans mort il n’y a pas d’histoire, et réciproquement. L’individu meurt parce qu’il n’est qu’un moment successif dans la marche de transformation de l’esprit. L’humanité n’est pas un tout, une unité pa-