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LA RELIGION

tu retombes fatigué de la chaleur brûlante de ce soleil des esprits qui travaille et dévore les individus particuliers dans le sommeil éternel, dans l’inconscient repos du néant. Comment peux-tu te plaindre d’être mortel si tu ne te plains pas d’avoir été enfant, de n’avoir point existé autrefois ? Comment peux-tu trembler devant la mort, lorsque tu l’as déjà supportée, traversée, lorsque tu as déjà été un jour ce que tu dois devenir de nouveau ? Jette au moins un regard dans ta vie et tu trouveras en elle ce que tu n’appréhendes qu’à son terme. Ton existence se borne toujours à l’instant présent ; le passé, quoique vivant dans ton souvenir, n’existe déjà plus ; tu n’es réellement que dans cet instant qui passe et s’évanouit. Pendant ta vie entière, tout passe en toi avec toi-même sans interruption, et tout devient en disparaissant un objet du souvenir, un objet de l’esprit. Le torrent du temps, voilà l’Achéron qui transporte les vivants dans l’empire des ombres, dans l’empire de la pensée ; le temps seul forme la transition entre l’existence et l’être, seul il apporte dans le monde l’intelligence et la réflexion. Pour devenir un objet de la pensée, de la connaissance, les choses doivent être passées ; tant qu’elles sont quelque chose, elles ne sont l’objet que de la passion, que d’un amour aveugle ou d’une aveugle haine. Ta vie, en devenant à chaque instant souvenir, se spiritualise incessamment ; car le souvenir métamorphose ton existence corporelle en existence idéale, et par là cette existence peut être exprimée, communiquée. Tant qu’elle est existence pure, immédiate, identique à ta personne, bornée au présent, elle n’appartient qu’à toi seul ; une fois passée, une fois devenue objet de la mémoire, elle