Page:Feuerbach - La Religion,1864.pdf/219

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

III

Si tu dis d’un être quelconque qu’il est mort, c’est seulement parce que tu le compares avec ce qu’il était auparavant et avec ce que tu es toi-même. La fin d’un individu n’a de réalité que pour toi ; pour lui-même elle n’est qu’un pressentiment, et tant qu’il ne fait que la pressentir, elle n’est pas encore là. Dès qu’elle est, il n’est plus. La mort ne serait mort pour lui que si dans la mort il vivait encore : car pour l’individu il n’y a de réel que ce qui peut être l’objet de ses sensations et de sa conscience. Quand il n’est plus, ce n’est pas pour lui-même qu’il n’est plus, c’est seulement pour les autres. La mort n’est quelque chose que pour les vivants ; elle n’est rien de positif et d’absolu, elle n’existe que dans ton imagination. C’est un être si fantastique qu’il n’est quelque chose que quand il n’est pas encore et qu’il n’est plus rien dès qu’il est. Tu compares l’être mort avec l’être autrefois vivant et par cette comparaison tu fais de la mort quelque chose de réel ; tu te la représentes avec effroi comme un anéantissement cruel de la vie, anéantissement sensible au mort lui-même. Mais la mort n’est point une destruction positive : elle est la mort de la mort même ; en détruisant la vie elle se détruit elle-même, elle meurt de son propre vide, de son manque absolu de réalité. Une destruction véritable n’a lieu qu’au sein du monde réel ; elle n’est que partielle et non totale, elle n’enlève aux choses qu’une partie de leurs qualités, de leurs attributs et ne fait pas disparaître la sphère de la réalité