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LA RELIGION

grés inférieurs. Cette plante que tu vois ici et qui charme tes yeux par sa beauté doit bientôt se flétrir et mourir ; mais peux-tu faire de cet évanouissement de l’existence en elle une marque de sa limitation ? dis-tu quelque chose d’une plante quand tu dis qu’elle est passagère ? cet état transitif, est-ce pour elle un attribut ? La plante est ce qu’elle est par les conditions et les qualités déterminées de son organisme ; si tu dis d’elle qu’elle passe, tu fais disparaître toutes ses qualités, toute sa vie si pleine et si riche dans cet attribut insipide, incolore et inodore de la transition. Cette fin de la plante n’est pas pour elle une scission, une rupture, une limite ; elle meurt parce que sa vie est mesure. Mais cette mesure est son être et sa vie mêmes : il est dans sa nature de n’exister pas plus longtemps qu’elle n’existe. Dans sa mort elle ne se heurte contre rien d’étranger, elle n’arrive à aucune frontière, pour ainsi dire, elle est ce qu’elle était à son origine : son être même est sa fin comme son commencement.

Si la mort n’est qu’une négation qui se nie elle-même, de même l’immortalité, dans le sens ordinaire, comme simple contre-partie de cette négation, n’est qu’une stérile affirmation de l’individu, de l’existence et de la vie. Quand je dis de toi que tu es un être vivant, capable de sentir, d’aimer, de vouloir et de connaître, je dis de toi quelque chose de bien plus réel, plus caractéristique et plus profond que si je dis : Tu es un être immortel. Dans chaque action, dans chaque sensation, dans chaque connaissance il y a infiniment plus que dans l’immortalité. L’essence et la réalité des choses consistent dans leurs qualités qui, prises ensemble, forment leur contenu, leur valeur et leur importance.