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LA RELIGION

spectres et des fantômes et que des statues et des peintures peuvent parler, sentir, manger et boire aussi bien que leurs originaux vivants. Car pour le peuple l’image semble être l’original aussi nécessairement que le mort lui semble vivre encore. Mais cette vie que le peuple donne aux morts n’a, du moins à l’origine, aucune signification positive ; les morts vivent, mais ils ne vivent que comme morts, c’est-à-dire ils vivent et ne vivent pas ; il manque à leur vie la vérité de la vie ; elle n’est qu’une allégorie de la mort. Aussi la croyance à l’immortalité dans le sens propre n’est rien moins que l’expression immédiate de la nature humaine ; elle est le produit de la réflexion et ne repose que sur un malentendu. L’opinion véritable des hommes sur ce sujet est suffisamment exprimée par le deuil profond qui se fait autour des morts et par les honneurs qu’on leur rend chez tous les peuples presque sans exception. Si l’on fait entendre partout sur leur sort des plaintes et des lamentations, c’est parce qu’ils sont dépouillés du bien suprême de la vie et arrachés aux objets de leur joie et de leur amour. Comment l’homme pourrait-il plaindre les morts, surtout aussi profondément que le faisaient les anciens peuples, et aujourd’hui encore beaucoup de peuples sauvages, s’il était convaincu qu’ils vivent encore, et de plus une meilleure vie ? Quelle ignoble hypocrisie serait donc échue en partage à la nature humaine si, croyant réellement dans son cœur et dans son être que les morts continuent leur vie ailleurs, elle les plaignait pourtant pour la perte de la vie ! Si cette croyance était réelle, des cris de joie et non des cris de douleur se feraient entendre au départ de chaque homme pour un autre monde ; ou, si l’on