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LA RELIGION

perpétuel, et il détruit ainsi la vraie signification religieuse de l’autre vie, dans laquelle l’homme doit arriver enfin à son but et se reposer des fatigues et des efforts continuels de la vie terrestre. Il fait du présent la mesure de l’avenir en accommodant le second au premier. L’homme est un être actif, progressant avec le temps ; il en sera de même là-haut, mais sans fin aucune. Il se rend l’avenir croyable en le modelant sur le présent, car qui peut douter du présent ? Mais il montre ainsi qu’il n’y croit que parce qu’il se trompe lui-même sans le savoir. Il ne peut pas plus faire accorder l’existence de l’homme avec l’idée du bonheur et de la perfection qu’il ne peut se figurer réunies l’humanité et la divinité dans le Christ. C’est pourquoi il sacrifie pour exister la félicité céleste ; il veut vivre à tout prix ; plutôt être malheureux que n’être plus, car l’idée du n’être plus est une idée impie et athéiste. Le croyant religieux croit à la vie future, parce que, d’après sa manière de voir, elle sera différente de celle-ci ; le rationaliste n’y croit que parce qu’elle sera la même, c’est-à-dire il ne croit qu’à la vérité de cette vie. Et en effet cette vie future qui sera une vie d’action, d’efforts, de travail et de progrès, qui par cela même sera pleine de luttes et d’aspirations, et contiendra nécessairement des alternatives de joie et de douleur, ne sera en réalité que la vie d’ici-bas.

Pour excuser et présenter sous un beau côté son désir d’une existence éternelle, le rationaliste prétexte une idée religieuse ; il prétend que son but est de devenir de plus en plus semblable à Dieu. Ce n’est pas par amour de lui-même qu’il croit à l’immortalité, non ; c’est pour l’honneur de Dieu, pour l’hon-