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LA RELIGION

neur de la vertu, parce que sans cette immortalité il ne pourrait pas devenir meilleur, de plus en plus parfait, de plus en plus semblable à la divinité. Mais ce but il le fait reculer jusqu’à l’infini ; il reste toujours, comme ici, un être imparfait, toujours éloigné de la fin à laquelle il aspire : car cet éloignement est la seule garantie de la continuation de son existence. Ce perfectionnement n’est qu’une perpétuelle négation, qu’une abstraction poussée toujours plus loin. Dans la vie future, les désirs et les penchants de la chair sont abolis ; le rationaliste est, comme nous le savons, ennemi de la chair en théorie, un ascète consommé ; là-haut il ne mange plus, ne boit plus, n’a plus de passions sensuelles ; il est débarrassé de son corps terrestre et à la place il en reçoit un plus fin, — probablement, car il n’en sait rien, — mais pas encore le plus fin de tous. Son modèle, son idéal, est un être qui n’a ni chair ni sang, un esprit pur, c’est-à-dire un pur ens rationis, et son but véritable est par conséquent le rien, car le rien est ce qu’il y a de plus immatériel ; quiconque n’est rien n’a ni désirs, ni penchants, ni défauts. Le rationaliste se donne ainsi pour but de sa vie la dissolution en Dieu ou dans le néant ; mais cette dissolution il ne la réalise jamais d’une manière complète, elle n’est pas pour lui une vérité pratique. Son but est le même que celui du fantasque nihiliste de l’Orient, — la religion est orientalisme par sa nature et son origine. — mais il n’est pas, comme lui, plein d’ardeur et de sincérité ; il est égoïste, flegmatique, prosaïque, prudent, en un mot, rationaliste. Aussi ce perfectionnement continu qu’il donne comme le fondement d’une vie future n’est qu’un prétexte de son égoïsme. Ce qui ne peut être atteint