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LA RELIGION

dans l’éternité n’est qu’un but imaginaire. L’idée de but contient l’idée de réalisation. Si dans la vie future je dois être imparfait comme dans celle-ci, à quoi sert-elle ? Elle n’a de raison d’être que si elle est la négation, que si elle est le contraire de la vie d’ici-bas. La récompense de la mort doit être nécessairement la perfection, le bonheur, la divinité. La mort est par elle-même la destruction complète de tout ce qui est terrestre, de tout ce qui est imparfait, de tout ce qui est sensuel ; sur son lit de mort, l’homme se dépouille de toutes ses vanités, de toutes ses fautes, de toutes ses passions : cette sombre tragédie ne peut être suivie que d’un bonheur éternel ou d’une fin éternelle, que par une existence divine ou par le néant, et non par cette comédie de l’avenir rationaliste ce pitoyable milieu entre quelque chose et rien, entre perfection et imperfection. Je te remercie donc de grand cœur, mon cher rationaliste, pour le présent de ta vaine immortalité. Je veux, ou bien avec mon ancienne foi être en Dieu au terme de tous mes progrès, ou bien n’être plus rien du tout. Là où l’on fait encore des pas, là on peut faire encore des pas en arrière et des faux pas, et je suis complètement rassasié de ceux que j’ai faits dans la vie, et surtout au dernier combat de la mort. Combien sages étaient donc les « aveugles » païens, qui se contentaient de souhaiter à leurs morts un « molliter ossa cubent, doucement reposent tes os », tandis que les rationalistes font retentir aux oreilles des leurs cet agréable cri : « Vivas et crescas in infinitum, vis et progresse à l’infini ! » O christianisme ! tu es la folie sous la forme de la raison, l’ironie la plus terrible à l’égard du genre humain sous la forme de la plus douce flatterie !