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LA RELIGION

de la nécessité d’une autre vie cette circonstance qu’un grand nombre d’hommes ne peuvent parvenir ici-bas à développer et satisfaire leurs penchants artistiques, lorsque des milliers d’autres ne peuvent pas même satisfaire leur faim, au moins d’une manière digne de l’homme ! Et n’est-il pas plus nécessaire de satisfaire sa faim que son goût pour l’art ? Peut-on avoir des sentiments moraux ou esthétiques lorsqu’on est affamé, ou quand on n’a dans le corps que des aliments que l’estomac de l’homme peut à peine digérer ? Ne devons-nous pas, par conséquent, exiger une autre vie dans laquelle ceux qui ont faim ici-bas seront enfin rassasiés ? dans laquelle ceux qui sur la terre ne vivent que des miettes de la table des gourmands physiques et esthétiques arriveront enfin à une jouissance supérieure, à la jouissance d’un rôti ? Puisque le rationaliste est un ami du progrès raisonnable, modéré, c’est-à-dire qui n’arrive jamais à son but, puisqu’il rejette toute interruption violente et n’élève l’homme que tout doucement, degré par degré, quoi de plus juste, de plus naturel, de plus nécessaire que les nombreux affamés de ce monde obtiennent enfin là-haut une nourriture humaine, tandis que ceux à qui les plaisirs des tables terrestres auront fait perdre tout appétit pour les mets du ciel y satisferont leurs goûts artistiques dans les musées, les concerts, les ballets et les opéras ! Mais encore un exemple de la misère humaine : combien de femmes manquent ici leur destination sans qu’il y ait de leur faute ! La destination de la femme est évidemment d’être épouse et mère ; c’est dans cette sphère seulement qu’elle peut développer toutes ses facultés ; l’éternelle virginité estropie et corrompt non seule-