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LA RELIGION

telle œuvre d’art. Tout homme qui, par le malheur ou par une mort violente, n’est pas arrêté dans sa carrière, atteint, sinon en imagination, — car, entre la pensée et l’être, entre la fantaisie et la réalité, il y a une différence éternelle, indestructible, — du moins en réalité son idéal. Car qu’est-ce que l’idéal ? C’est ma tendance naturelle, c’est ma puissance propre en tant qu’objet de mon imagination et de ma conscience, en tant que but de ma vie et de tous mes efforts. Lorsque l’humanité ne peut pas produire des poésies meilleures que celles d’un Gottsched, alors Gottsched est l’idéal du poète. Dans ce fait que les idées de l’humanité ne dépassent jamais ses besoins, les déistes voient la preuve d’une sagesse et d’une Providence divines ; mais, de même que certains phénomènes naturels que ces mêmes déistes regardent comme la manifestation d’une sagesse infinie, tels que les divers modes de conservation et de reproduction des animaux, ne sont que la preuve de l’ignorance et de la limitation de la nature, de même ce phénomène historique n’est qu’une preuve de la justesse de tact, de l’ignorance et de l’égoïsme de l’homme.

Mais d’où vient donc que les hommes veulent avec tant d’opiniâtreté le maintien de leurs idées et de leurs institutions, de leurs dogmes religieux et de leurs systèmes scientifiques ? Cela provient de ce que le penchant à tout connaître est limité chez eux par leur penchant au bonheur, à la vie, à leur propre conservation. Les individus qui se distinguent surtout par leur intelligence, dont toute activité est déterminée par l’activité du cerveau et chez lesquels, par conséquent, la tendance au bonheur est entièrement d’accord avec