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LA RELIGION

ce que nous devons à l’influence seule du temps et nous nous regardons comme des êtres nouveaux chaque fois que dans le cours de la vie quelques changements se sont opérés en nous. Mais l’espèce, la forme, le type, le caractère, — qu’on nomme cela comme on voudra,— de notre être physique aussi bien que de notre être moral ne changent jamais. Un mauvais poète ne peut pas plus devenir un bon poète, une tête superstitieuse une tête pensante, un caractère envieux et rampant, un caractère noble qu’un chat-huant ne peut devenir un rossignol ou un âne un coursier. Il est vrai que tout ce qui est nouveau met d’abord partout le désordre et la confusion ; mais les anciennes qualités, les vieilles inclinations et les vieux défauts relèvent bientôt la tête de même que les païens devenus chrétiens, dans les circonstances décisives avaient toujours recours à leurs anciens dieux. Vieil amour ne prend pas de rouille, peut-on dire aussi dans ce cas. L’homme éprouve bien des révolutions et des métamorphoses réelles ; mais elles ne sont rien moins que des miracles. La conversion de saint Paul se renouvelle tous les jours. Je hais la philosophie, parce qu’elle détruit la foi, s’écrie tel ou tel individu ; mais il n’a besoin que de rencontrer le livre ou l’homme qu’il lui faut et d’ennemi acharné de la philosophie il en devient l’ami passionné. Chaque homme arrive ainsi plus ou moins dans la vie à un moment où il rompt le serment de fidélité éternelle qu’il avait juré à une idole quelconque, parce qu’il reconnaît que ce serment était faux sans qu’il en eût conscience. Mais l’homme n’est pas devenu pour cela un autre homme ; tout au contraire il est devenu lui-même, il est sorti d’un rêve pour arriver à la