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XXII
PRÉFACE

aperçoive pas au premier coup d’œil. Les doctrines historiques qui ont cours depuis plus d’un demi-siècle nous ont tellement habitués à considérer les événements comme enchaînés les uns aux autres d’après un plan déterminé que, dans notre admiration banale pour la prétendue progression régulière des sentiments et des idées, nous oublions le rôle du hasard, des perturbations, des cataclysmes, dans les affaires humaines. Tant que la société ne se gouvernera pas elle-même par la raison, il n’y aura, comme aujourd’hui encore, que bien peu de raison dans ses actes, et celle qu’on y trouvera y aura été intercalée en grande partie. Il est impossible qu’un faux point de vue tel que celui des religions ait pu avoir les conséquences bienfaisantes qu’on lui attribue. C’est un fait inéluctable que partout où elles ont eu la prépondérance l’esprit de l’homme a été opprimé, et que partout où elles règnent encore il en est resté presque à son point de départ. Quand des circonstances heureuses, parmi lesquelles il faut compter surtout le caractère et le génie particulier des peuples, ne brisent pas leurs entraves, la marche de la civilisation est enrayée. L’art, pour ne parler que de lui, ne dépasse jamais le degré atteint à la même époque par les autres manifestations de la nature humaine, et il ne trouve sa voie que lorsqu’elles trouvent la leur. Ce n’est pas la beauté ni la perfection qui nous frappent dans les premières œuvres des peintres chrétiens. L’homme du monde et le croyant lui-même restent indifférents à la vue de ces peintures, et souvent elles