Page:Feuerbach - La Religion,1864.pdf/330

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résume tout. Les plantes, au pluriel, sont l’objet des sens ; la plante, au singulier, n’est objet que de l’esprit. Mais, de même que la plante en général n’est pas un être surnaturel dans le sens que donne à ce mot l’imagination spéculative, bien que les sens ne la perçoivent pas, de même l’esprit n’est rien de surnaturel, bien qu’il soit inaccessible à la perception externe.


L’homme ne peut pas, ne doit pas nier les sens ; si pourtant il va jusqu’à les nier en se mettant en contradiction avec sa propre nature, il sera ensuite obligé de les affirmer, de les reconnaître ; mais il ne pourra alors le faire que d’une manière négative, contradictoire et fantastique. L’être infini auquel l’homme, dans la religion, fait le sacrifice de ses sens, n’est pas autre chose que l’essence du monde réel devenu objet de l’intelligence, de la fantaisie, et par cela même idéalisé. L’idée de Dieu renferme celle de tous les biens, de toutes les joies, de tous les plaisirs sensibles. “ O Seigneur ! s’écrie saint Anselme, un des plus grands penseurs du christianisme, ta splendeur et ta félicité se dérobent aux regards de mon âme, et c’est pourquoi elle erre sans cesse, plongée dans le malheur et les ténèbres ; elle regarde autour d’elle et ne voit point ta beauté ; elle écoute et n’entend point ton harmonie ; elle sent et ne perçoit pas ton odeur ; elle tâte et n’apprécie point la finesse de ton toucher, car tu as tout cela, Seigneur Dieu, d’une manière indicible en toi, puisque tu l’as donné d’une manière sensible aux choses que tu as créées. ”