Page:Feuerbach - La Religion,1864.pdf/329

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

devient un être absolu, son propre but, sa propre jouissance. Lui seul éprouve une joie céleste dans la contemplation désintéressée du ciel et des étoiles ; lui seul, pour l’unique plaisir des yeux, ne peut se rassasier de l’éclat des pierres précieuses, du miroir des eaux, des couleurs des fleurs et des papillons ; lui seul a l’oreille charmée par le son du métal, le chant des oiseaux, le murmure des sources, le bruissement des feuilles et du vent ; lui seul répand en l’honneur de la jouissance presque superflue de l’odorat des flots d’encens comme pour un être divin ; lui seul enfin trouve une jouissance infinie dans le simple toucher avec la main, dans les caresses de la femme. L’homme est donc homme parce qu’il n’est pas comme l’animal un sensualiste borné, mais un sensualiste absolu, parce que toutes les choses sensibles, et non pas une seule, parce que le monde, l’infini, sont simplement pour eux-mêmes, c’est-à-dire pour la jouissance purement esthétique, l’objet de ses sens et de ses sensations.


Qu’est-ce que l’esprit ? Qu’est-il par rapport aux sens ? Ce que le genre est aux espèces. Le sens est universel et infini, mais seulement dans son domaine et à sa manière ; l’esprit, au contraire, est universel absolument ; il n’est pas lié à un domaine particulier, il embrasse toutes les données des sens, tout le réel, tandis qu’eux, les sens, ne comprennent que des réalités spéciales, exclusives. C’est par sa généralité qu’il est au-dessus d’eux, qu’il fait de leur esprit provincial un esprit commun, qu’il les concentre dans une unité qui