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XXVII
PRÉFACE

dont on a coutume de la traiter quelque chose qui porte sur les nerfs. Ce qu’il y a de singulier, c’est que les écrivains qui aujourd’hui se sont fait une spécialité de poser comme amateurs de la délicatesse, de la finesse, de la variation dans les motifs, de l’élégance dans la forme, de l’aménité dans les jugements, sont précisément ceux chez lesquels ces qualités se rencontrent le moins. Tout ce monde de critiques que l’on coudoie dans les revues, et dont les coryphées sont MM. Sainte-Beuve, Scherer, Renan, etc., vit et se meut dans un élément neutre, a fondé et continue en littérature ce que l’on est convenu d’appeler le genre ennuyeux. Sous le rapport du style, il n’a pas inventé une forme nouvelle, il n’a partout qu’un seul ton et une seule couleur ; sous le rapport de l’idée, il se contente d’exposer dédaigneusement le résultat des travaux des véritables penseurs en le rabaissant à son niveau, c’est-à-dire en lui ôtant toute espèce de caractère : car c’est le propre de ces amis des nuances, de ne vouloir que la leur et de s’étonner que les autres aient du sang dans les veines quand ils n’y ont que de l’eau claire. Leur manière d’être n’est pas autre chose que l’indifférence décorée du nom d’impartialité.

Dans le monde réel, les nuances, les différences presque insensibles ont une valeur immense, parce que chacune d’elles est un être déterminé, complet, formant pour ainsi dire une sphère d’où rayonne l’individualité. L’ensemble de ces diversités éphémères, mais éternelles par leur perpétuelle renaissance, forme pour l’œil et