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XXXVI
PRÉFACE

il bien vrai que la plus grande partie des hommes soient condamnés à ne jamais s’élever à sa hauteur ? Illusion ridicule d’un aristocrate de l’intelligence ! Il ne faudrait pas longtemps pour mettre le peuple au niveau de ses idées sur la religion et sur la race humaine en général, — de la tâche qu’il y a aujourd’hui à accomplir, c’est la moindre partie et l’opposition vient moins du peuple que d’ailleurs. Croit-il que ce petit nombre dont il revendique les droits a besoin pour se développer de l’abaissement du plus grand ? Désirerait-il qu’il en fût ainsi pour paraître grand à peu de frais ? Ne sait-il pas que la liberté des uns ne peut exister qu’à la condition de la liberté des autres ; l’histoire ne le prouve-t-elle pas à chacune de ses pages ? Et de quel droit ose-t-il dire au nom des privilégiés qu’en général le degré d’éducation du peuple leur importe peu ? Blasphème ! Les trois quarts d’entre eux sont presque honteux de ce privilège et ils ne tiennent à rien tant qu’à se le faire pardonner. L’homme heureux désire voir des heureux partout, car la vue du malheur est un malheur aussi. L’homme digne de ce nom ne peut supporter autour de lui que des hommes élevés par l’art et la science, à ce degré de noblesse et de dignité qui convient seul à la nature humaine, et ce serait un affreux malheur qu’il en fût autrement, car la liberté provient moins des efforts de l’esclave pour briser ses fers que du dégoût de l’homme noble pour la servitude. Le bien, sous quelque forme que ce soit, n’a pas de besoin plus grand que celui de se communiquer,