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LA RELIGION

Christ ; il faut les faire prisonniers et les atteler au joug de la doctrine céleste pour les soumettre humblement à Dieu et opposer sa vérité et sa puissance à leurs artifices. » Jurieu, d’abord ami, plus tard ennemi déclaré de Bayle, d’ailleurs un vrai modèle d’orthodoxe dans sa conduite envers les hérétiques, — quoique accusé lui-même de plusieurs hérésies par les réformés, — nous représente d’une manière plus intéressante encore les tourments que la foi fait subir au chrétien dès qu’il réfléchit. « Je trouve, écrit-il, des choses incompréhensibles dans la conduite de Dieu ; j’ai beaucoup de peine à concilier sa haine contre le péché avec la providence ; et cette épine me fait tellement souffrir, que, si quelqu’un pouvait me l’arracher, je me déclarerais pour lui sans condition. — Si je jette mes regards sur le monde, l’histoire, les événements, j’y trouve des abîmes dans lesquels je me perds, je me heurte contre des difficultés qui me renversent. Pour parler sincèrement, on doit avouer qu’il n’y a pas de réponse pour la justification de Dieu qui puisse réduire l’esprit humain au silence. Toute la fausse sagesse de la raison se révolte contre les mystères, et cette fausse sagesse est ainsi faite, qu’on ne peut la distinguer de la vraie que par la lumière de la foi. » — Un esprit fort n’aurait pas pu mieux montrer les incompréhensibilités et les contradictions intimes qui se trouvent dans la doctrine du péché originel, que ne l’a fait ici un vrai croyant, un orthodoxe incarné, un théologien zélatique comme Jurieu. Aussi cet aveu souleva-t-il contre lui plusieurs théologiens de la réforme. Ils ne se plaignirent pas seulement qu’il exposât le christianisme aux attaques et aux moqueries des incrédules en déclarant irréfu-