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LA RELIGION

aveugle, est un pur sophisme qui accorde à l’adversaire qu’il a droit, en voulant s’en débarrasser. La volonté et ses commandements sont ici subordonnés à l’idée du bien absolu. Ce n’est pas ainsi que le raisonneur orthodoxe entend les choses. « Je veux, voilà la raison dernière ; aucune loi ne m’enchaîne, je suis maître de tout, le suprême législateur, et rien ne m’est impossible. » — Sic volo, sic jubeo, sit pro ratione voluntas. Telle est chez lui la manière de s’exprimer du maître. Mais, si la nature même des objets n’est pas le dernier et l’unique fondement du bien qui est en eux, dès lors on est obligé d’admettre que Dieu n’est pas bon ou saint en vertu de sa nature, mais en vertu d’un acte d’arbitraire, et que Dieu, par conséquent, s’est fait lui-même Dieu. Dès que l’arbitraire est une fois principe, toute borne qu’on lui oppose est arbitraire elle-même, la déraison en est la seule conséquence nécessaire et raisonnable, l’absolu non-sens est le premier être, l’alpha et l’oméga de l’univers.

Ce procédé sommaire, pour établir les lois de la morale, n’est qu’un cas particulier ; mais tous les autres lui ressemblent. La tendance spéciale de la théologie est en général de tout faire aboutir à Dieu dans ses explications. Son principe métaphysique suprême, pour ainsi dire, car ce n’est point un principe rationnel, mais un subterfuge tout à fait vide, quelque profond qu’il paraisse, et qui n’a pas le moins du monde son origine dans la tête de saint Augustin, c’est la création ex nihilo, c’est-à-dire par la volonté. Il est ridicule de chercher derrière ce néant, ce rien, quelque mystère. Le rien n’est rien que l’expression métaphysique ou ontologique de la volonté pure et sans fondement.