Page:Feuerbach - La Religion,1864.pdf/84

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
75
LA RELIGION

Le résultat déplorable des persécutions que l’esprit scientifique eut à supporter se fait sentir encore aujourd’hui dans ce qui regarde la bibliologie. Les écrits philosophiques les plus intéressants pour leur temps, les plus riches d’idées, comme ceux d’un Giordano Bruno et d’un Nicolas Taurellus, ne sont devenus des raretés littéraires que parce que l’esprit étroit des théologiens les mit au rang des écrits athéistes. — Et qu’était le crime d’athéisme ? Ce qu’en politique, à certaines époques d’ailleurs bien connues, était le crime de haute trahison.

Mais pourquoi donc l’esprit de la théologie est-il opposé à l’esprit de la philosophie ou de la science, car la philosophie représente, comme nous l’avons dit, l’esprit de la science ? Quel est le principe suprême de cette opposition ? Le voici : le fondement de la théologie est le miracle, la volonté, refuge de l’ignorance, principe de l’arbitraire ; le fondement de la philosophie est la nature des choses, la raison, la mère de la loi et de la nécessité. La philosophie considère les lois de la morale comme des rapports moraux, comme des catégories de l’esprit ; la théologie comme des commandements de Dieu. Ce que Dieu, ou, pour parler comme les nouveaux casuistes qui trouvent Dieu trop abstrait, ce que le Maître, ce que le Seigneur veut, cela seul est juste. Que ce soit bon ou mauvais en soi, qu’importe ! la volonté de Dieu est la source du bien et du mal, — que cette volonté s’accomplisse ! L’objection faite par le théologien au philosophe qui combat le principe de la volonté, l’objection que Dieu étant l’être parfait et saint par excellence ne peut vouloir que le bien et la justice, et que, par conséquent, l’obéissance n’est pas