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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

voulait constituer une pareille nation de végétaux parasites, il en arriverait nécessairement la ruine complète de tous ces individus, dont chacun est à la fois une incarnation de la douceur d’agneau et de la vanité, qui ne s’occupe que de sa propre personne et se regarde toujours au miroir pour jouir le plus amplement possible de l’image de sa perfection individuelle[1]. Certes, vivre pour et dans les intérêts de tous réclame une douceur énergique, et non une douceur louche et boiteuse, pour ne pas dire lâche ; il faut ne pas rêver perpétuellement dans son for intérieur à ses propres péchés, mais agiter hardiment les grandes et austères questions de la société (Hist. de la phil., II, 274). » « L’imagination, il est vrai, peut (que ne peut-elle pas ?) rêver une réunion universelle de gens pieux et saints, d’agneaux de Dieu (comme ils s’appellent si volontiers eux-mêmes) et de niais, une déplorable république des faibles d’esprit, un paradis extravagant et illusoire sur terre ; mais il ne s’agit point de cela ici-bas. Cette fantaisie appartient ailleurs, au ciel ou plutôt à la mort. La réalité organique a besoin de sentiments, d’institutions et d’exploits de tout autre sorte (III, 116). » « Ce qu’il y a de triste c’est que notre civilisation christianisée a deux espèces de ménages, elle tient deux livres, deux mesures, deux poids, et elle ne sait pas comment les réunir. Elle ne fait que les tenir séparées l’une de l’autre (III, 118). »

« Le christianisme est né du mosaïsme ; or, le mosaïsme, remarquez-le bien, était la perversité, l’abjection ayant conscience d’elle-même. Le judaïsme a de tout temps agité ce singulier sentiment de la nullité intérieure affublée d’orgueil. Voilà une bien misérable humilité, et qui ne contient pas la moindre trace d’énergie vitale d’un ordre un peu élevé. Cette particulière manière de voir est plus tard devenue une forme historique de signification universelle, et c’est dans cet élément du néant que le monde s’est vu absorbé (III, 116). » « L’esprit humain ne s’est émancipé qu’à la fin du moyen-âge, après avoir reconnu le tort qui avait été fait au monde réel par l’Église ; l’homme poussé à rechercher ce qui est vrai et juste, n’en trouva rien au fond de l’Église ; il fut donc obligé d’en sortir et de chercher

  1. Au lieu de « quakers » Hegel a évidemment voulu dire : « piétistes, moniers, méthodistes, » une secte protestante qui, loin de prêcher un beau et puissant mysticisme, se plaît dans une mysticité mesquine et même parfois immorale. (Le traducteur.)