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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

mêmes des perfections divines, des puissances absolument bonnes, fortes et belles[1].

Ces mêmes artistes excluaient de leurs dieux les désirs ignobles, les passions basses et mesquines, parce que ces attributs leur semblaient peu dignes des immortels et des mortels à la fois. Ainsi, les dieux d’Homère mangent et boivent en d’autres termes, manger et boire est une jouissance parfaitement divine. Les dieux d’Homère manifestent une grande force musculaire ; leur roi a le bras le plus fort parmi tous les habitants immortels du manoir céleste au sommet de l’Olympe ; en d’autres termes, la force, l’adresse musculaire en elle-même, et abstraction faite des divinités surhumaines, était considérée comme sublime, divine. Chez les anciens Germains, la vertu guerrière était la plus haute de toutes : par conséquent, le plus haut de leurs dieux était nécessairement le dieu de la guerre, Odin. Il résulte de tout ceci que les théologiens, comme les philosophes, jusqu’aujourd’hui se sont singulièrement mépris, en proclamant les qualités, les attributs de leur dieu, au lieu de proclamer la divinité de ces attributs, de ces qualités ; en effet, c’est la qualité, la réalité, si méprisée par eux, qui mérite pourtant le nom de « Dieu ». Un athée ne doit être appelé que celui qui ne voit rien dans les attributs divins, qui se moque de la charité, de l’amour fraternel, de la justice, de la liberté, de la générosité, de la science, de la vertu, etc. Mais ne dites point qu’on devient athée en ne reconnaissant pas, eu niant le sujet auquel tous ces attributs-là appartiennent. Les attributs sont d’une force assez grande pour survivre au sujet qui en avait été orné, car ils ont une réalité intérieure, indépendante de toute autre chose ; ils se font admirer et adorer, aimer et imiter par l’homme, qui ne cesse jamais d’éprouver leur vérité ; ils se produisent, ils se manifestent d’eux-mêmes. Quelle logique plus triste et erronée que celle qui conclut de la non-existence d’un dieu, à la non-existence des attributs dont il avait été composé ! Vous avez beau crier contre moi

  1. L’art des Mexicains, des Indiens, des Égyptiens, des nations sémitiques représenta toujours les dieux comme autant d’agglomérations d’attributs : à membres multiples, à têtes d’animaux, etc., sans montrer le moindre goût esthétique ; l’art des Hellènes s’en dégagea de bonne heure, en passant par une époque transitoire : voyez, par exemple, la grande Diane d’Éphèse. (Note du traducteur.)