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Page:Feuerbach - Qu'est-ce que la religion ?,1850.pdf/174

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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

Senèque (De Ira, II, 30 ; III, 26), Jam sibi dedit paenas qui peccarit. Les religions orientales ajoutent au péché une punition surnaturelle, après cette vie ; le philosophe païen, au contraire, avait dans la vertu une force plastique (vis plastica), une puissance réelle, un motif suffisant (causa efficiens), une source morale et même physique où il puisait l’énergie nécessaire pour rétablir la santé de son âme, de son cœur, de son esprit.

Quicquid animam rexit etiam corpori prodest : studia mihi nostra saluti fuerunt, dit Senèque (Epist. 78), et il ajoute ces grandes paroles ; « Oui, je dois ma résurrection à la philosophie ; « je lui dois ma convalescence, ma vie (morale), et c’est assez. » Le sage du paganisme, en reconnaissant la nullité intérieure du péché, reconnaît en même temps cette indestructible toute-puissance de la vertu qui se manifeste même dans le méchant (Seneca, De benefic., IV, 17), et il demeure fort et content sous l’égide de cette énergie vertueuse.


Chapitre V.

Le Mystère de l’Incarnation de Dieu.


L’Incarnation, voilà le cœur, le centre du christianisme dogmatique. C’est une larme de la miséricorde divine ; mais un Dieu qui pleure sur la misère humaine, sympathise avec l’homme, est lui-même un être humain. Dieu devenu homme n’est que l’homme devenu Dieu ; avant que Dieu se fit homme, l’homme avait été élevé à Dieu. En effet, si Dieu n’eut point été homme, comment concevoir la possibilité de son incarnation en forme humaine ? Augustin dit très-bien : « Il se fit homme, afin que celui-ci devint Dieu » (Sermon au peuple, I, 371), et Luther se prononce dans même sens spéculatif quand il dit : « Moïse, appelant l’homme une image ressemblante de Dieu, a voulu faire entendre qu’un jour Dieu deviendrait homme, » c’est-à-dire, l’Incarnation est une conséquence de la divinité de l’homme. Rien, d’ailleurs, ne nuit davantage à la réflexion religieuse, que si l’on oublie de séparer la raison et l’âme affective, le cœur, l’amour : le dieu du raisonnement, Dieu le Père, et le dieu du sentiment, Dieu le Fils. Si, au