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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

ges ; les païens ne convenaient nullement qu’ils adorassent la pierre ni le bois… » Dans une discussion entre deux théologiens, tout le vrai n’est nulle part, et cela doit être ainsi, parce que chacun d’eux part d’un faux principe ; l’intérêt que la philosophie y prend ne peut donc être que celui de la critique dialectique, qui fait voir cette impuissance égale, perpétuelle et forcée des deux adversaires, d’arriver à une solution décisive sur le sol mouvant et magique de la théologie.


Une autre détermination de la deuxième Personne en Dieu est le Logos, le Verbe, la Parole de Dieu. On a beaucoup discuté sur la signification du mot logos au Nouveau Testament. Sur le Logos, dans la philosophie de Philon, voyez l’ouvrage de M. Gfrorer, Philon l’appelle aussi rhéma theou, comme Tertullien, qui prouve (ad Prax. 5) qu’on peut indifféremment traduire logos par sermo et par ratio. Il signifie, selon nous, principalement la parole, et l’Ancien Testament fait créer le monde par la parole divine. Logos signifie aussi virtus, spiritus, et cela doit être, puisqu’une parole sans force, sans énergie, sans intelligence, n’a aucune valeur.

La parole elle aussi est une image, une image éminemment abstraite ; on s’imagine en effet, en prononçant le nom d’une chose, de connaître la chose même. Dans nos rêves, dans nos hallucinations, notre imagination est profondément agitée : nous parlons. Les animaux n’ont pas le talent de la poésie, ils ne parlent non plus. Le talent poétique est une manifestation de l’imagination : poiein en grec, faire, former, créer, imaginer. Sans hasarder ici dire un jeu de mots dans cet objet sérieux et intéressant, on peut dire que l’imagination est bien une force magique, et c’est ainsi que la parole, cette imagination devenue perceptible au nerf de l’oreille, était, chez les peuples de l’antiquité, censée posséder une force magique. Origène, avec d’autres Pères de l’Église primitive, était convaincu de pouvoir guérir les maladies et faire des miracles en prononçant le nom de Jésus-Christ « Ce nom est tellement fort contre les démons, qu’il manifeste sa puissance, quelquefois même quand il est prononcé par un homme pervers (Origène, Adv. Celsum, I, 3.) »

La parole, cette incarnation de l’imagination, doit nécessaire-