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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

rales, mais simplement individuelles, qui s’aplanirent devant l’espace, le temps et la force d’une nouvelle phalange d’individus. De très belles épreuves se rencontrent dans l’histoire des sciences, spécialement de la philosophie et des sciences naturelles ; on saurait écrire de ce point de vue cosmologique et anthropologique une histoire des sciences, et cela démentirait considérablement la folle idée de l’individu, de pouvoir mettre des bornes et des haltes à l’espèce. Nous disons donc le genre est illimité, l’individu ne l’est point.

Se sentir heurter contre une limite, est sans doute une sensation désagréable sous plusieurs rapports ; l’individu s’en débarrasse par la vue de l’être parfait ; Dieu est en effet, aux yeux des chrétiens, ce pont factice qu’ils se font de l’individualité à la généralité, l’union métaphysique et postiche de l’homme individuel et du genre humain. Dieu est la notion du genre, mais cette notion personnifiée et individualisée à son tour ; il est la notion du genre ou son essence, et cette essence comme entité universelle, comme renfermant toutes les perfections possibles, comme possédant toutes les qualités humaines débarrassées de leurs limites. De là, ipse suum Esse est : Dieu est sa propre essence, ou son existence s’identifie avec son essence, comme il n’en peut pas être autrement dans la notion du genre représentée immédiatement comme existant, comme individu. La plus haute idée religieuse, on le sait, est celle-ci : Dieu n’aime pas, il est lui-même l’amour en personne ; Dieu n’est pas juste, il est lui-même la justice en personne ; Dieu ne vit pas, il est la vie en personne ; il n’est pas personne, il est la personnalité en personne ; il est donc le genre, l’idée abstraite, immédiatement personnifié en concret, en personne suprême : « Dicimur amare et Deus, dicimur nosse et Deus ; et multa in hunc modum. Sed Deus amat ut charitas, novit ut veritas, etc. (Bernard. de consid., 5) Mais ne voit-on pas que, précisément à cause de cette concentration de toutes les généralités, à cause de cette absorption de toutes les réalités en un seul être personnel qui combine le genre et l’individualité, le Dieu chrétien est nécessairement un objet qui touche profondément l’âme affective et qui saisit l’imagination, tandis que l’idée d’un genre humain n’excite guère notre enthousiasme ? L’humanité ne se montre à nos yeux que comme abstraction, et en même temps ils sont contrariés par les innombrables in-