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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

il a donc la vérité de son côté chaque fois que le paganisme se trompe ; mais chaque fois que celui-ci est dans le vrai, le christianisme est faux et mensonger. Gardons-nous, quand nous voulons être vrais, de placer dans un objet historique le sens que notre caprice désire d’y découvrir. Le paganisme voyait dans l’individu une partie minime et différente de l’espèce humaine, le christianisme ne voyait que l’individu en unité complète avec l’espèce. Les païens sacrifient l’individu à son espèce, les chrétiens l’espèce a l’individu.

Le christianisme regarde l’individu comme l’objet d’une providence immédiate, comme objet immédiat de l’Être divin le paganisme ne croyait à une providence individuelle que par l’intermédiaire de l’espèce, de la loi, de l’ordre universel ; c’est une providence naturelle, médiate, et nullement merveilleuse. Quelques philosophes païens, Platon, Socrate, les stoïciens surtout (J. Lipsius : Physiol. Stïc. 1, XI), il est vrai, parlaient d’une providence divine qui embrassait non-seulement les généralités, mais aussi les choses personnelles et individuelles, mais ils identifiaient cette providence avec la loi, la nature, la nécessité ; les stoïciens, ces orthodoxes spéculatifs du paganisme, parlaient de miracles providentiels (Ciceron de nat. deor. II, et de dirinat. I) ; mais leurs miracles n’avaient point la signification supranaturaliste chrétienne, quand ils disaient en bons supranaturalistes païens de leur Dieu : Nihil est quod efficere non possit.

Or, les deux notions divinité et humanité coïncident. Tous les attributs qui divinisent Dieu, pour ainsi dire, qui font de lui ce qu’il est, un Dieu, sont des notions générales, notions du genre, qui trouvent de la restriction dans l’individu ; les bornes de ces attributs s’effacent nécessairement dans l’essence du genre et même dans son existence, car le genre ne trouve une existence adéquate que dans tous les hommes ensemble. Mon savoir, mon vouloir, à moi, sont limités, mais cette limite n’est pas celle du vouloir et du d’autrui, encore moins du genre humain. Ce qui est difficile pour moi est facile pour toi ; ce qu’une époque donnée ne peut résoudre, l’époque suivante le comprendra et l’exécutera. Mon existence à un temps restreint, celle du genre humain ne l’est point. L’histoire du genre humain, c’est une série de victoires qu’il remporte sur des obstacles qu’il regarda avant comme insurmontables ; l’avenir prouve chaque fois que ces barrières n’étaient point géné-