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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

un résultat nécessaire du christianisme même. Là où la vie dans le ciel est une vérité, la vie sur cette terre est un misérable mensonge ; là où l’imagination est tout, la réalité n’est rien ; « Il faut que l’esprit soit dirigé là où il ira un jour, » dit Jean Gerhard (Meditat. sacr. Nr. 46). Comment, vous proclamez la terrible loi de la vie céleste comme article de la foi, et vous lui refuserez de pouvoir régler votre morale ? La loi de le foi doit être inséparable de la loi morale : Affectanti coelestia, terrenit non sapiunt ; aeternis inhianti, fastidio sunt transitoria, dit Bernard (Epist. ex persona Helia monachi ad parentes). « Ce qui nous importe ici-bas, c'est de nous en aller le plus tôt, quam celeriter excedere, dit Tertullien (Apol. adv. gentes, c. II), et Luther (IV, 15) : « On devrait vraiment conseiller à un homme chrétien de supporter en patience les maladies, voire même désirer la mort, et cela le plus tôt possible ; saint Cyprien dit qu’il n’y a rien de plus avantageux pour un chrétien que de décéder de cette triste vie ; mais hélas nous entendons avec plus de plaisir le païen Juvenal, qui a écrit : Orandum est ut sit mens sana in corpore sano. » La loi céleste défend de jouir de la vie : Tu ne doit pas, nous dit-elle ; et en vrais chrétiens, nous répondons en nous inclinant : Aussi, nous ne voulons pas.

La félicité dans le ciel dépend, il est vrai, de notre conduite morale ici-bas. Mais, en revanche, la morale nous a été prescrite et fixée d’avance par la croyance à la vie céleste. Cette conduite qui mène directement à la félicité après notre mort, c’est l’abnégation ou plutôt la négation de cette vie terrestre. Le monachisme est la manifestation extérieure de cette négation. Bernard : Ille perfectus est quimente et corpore a seculo est elongatus (Écrits apocryph. de modo bene vivendi ad Soronen S. VII). Tout ce qui vient de l'âme doit se manifester dans le corps, et le monachisme est la vie céleste telle qu’elle saurait se faire voir ici-bas, il est l’école où l’on donne et prend des leçons pour la vie d’outre-tombe. Mon âme appartient déjà au ciel, mon corps ne doit donc plus appartenir à la terre, car l’âme anime le corps. Mon âme chrétienne est déjà au ciel, idéalement au moins, mon corps est donc abandonné, il est mort, il n’y a par conséquent plus de moyen pour mon âme de communiquer avec le monde physique. La mort, la séparation corps en péché et de l’âme, est la porte d’entrée au ciel ; il faut