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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

gine qu’elle est un hors-d’œuvre sans valeur, dont il faut se débarrasser le plus tôt possible[1].

« Divisa est mulier et virgo, » dit Jérôme (Adv. Helvidium de perp. virg., p. 14, II. Erasmus). « Vide quantae felicitatis sit, quae et nomen sexus amiserit : virgo jam mulier non vocatur. » On ignore que (mérité bien banale !) l’homme se compose d’homme et de femme ; sans cette combinaison de deux individualités différenciées, il n’y a pas d’espèce, pas de genre. Un individu qui vit régulièrement d’après la nature organique, sait donc qu’il n’est qu’une particule dans la grande totalité humaine, une particule qui a besoin d’une autre particule pour se perpétuer ; ce qui est une considération très peu édifiante pour l’orgueil raffiné du chrétien, qui veut tout assujettir à sa subjectivité exclusive. Le subjectivisme de cette sorte rejette avec un ineffable dédain l’instinct sexuel : Christianus sum… Cela suffit… Christianus sum…

Depuis près de vingt siècles on vous prêche que l’amour sexuel est quelque chose que le Dieu chrétien ne fait que tolérer, et vous ne vous apercevez pas que cet amour en devient dégradé et une infamie ? Car enfin, le mariage sexuel est exclu du ciel ; or ce qu’une religion exclut de son ciel, elle le maudit au fond, donc la relation sexuelle exclue du ciel chrétien est maudite au fond par la religion chrétienne. Le mariage au christianisme n’a qu’un sens moral, et

  1. L’opération chirurgicale, voilà un moyen héroïque, Origène l’a dit : les prêtres-galles de la grande Mère des dieux l’avaient déjà employé avant lui : mais voyez, ce moyen est trop direct, trop matérialiste, trop franc et sincère, il faut donc le spiritualiser, le théologiser… Comment cela ? Eh ! réfléchissez, vous le trouverez ; la pathologie et la psychiatrie ont à enregistrer assez de maladies nerveuses et mentales, ce me semble, dont la chrétienté s’est enrichie depuis près de deux mille ans, et cela en conséquence de son principe transcendant. Vous allumez par votre principe transcendant le feu rampant et souterrain de l’âme affective chez l’homme et chez la femme ; vous dites à celle-ci : Tu es fille d’Ève qui a perdu le genre humain, tu es sœur de saint Marie qui a sauvé le genre humain, et vous vous étonnez si la femme chrétienne, qui vous croit à la vie et à la mort, qui imbue de votre doctrine et neuropathique depuis deux mille ans, devient une aliénée et dégénérée ? Vous dites aussi à l’homme : Tu es fils d’Adam et frère de Jésus ; heureusement l’homme commence déjà à ne plus vous écouter comme jadis, mais sa santé physique, spirituelle et morale est autant ébranlée depuis vos deux mille ans de règne, que celle de la femme. Voilà vos œuvres. (Le traducteur)