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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

Dieu, et un homme qui nie l’immortalité, nie Dieu. Voilà donc ce Dieu devenu la certitude que j’ai d’être un jour dans le bonheur céleste ; il est la certitude de ma félicité individuelle. Dieu, c’est la subjectivité des sujets, la personnalité des personnes, d’où suit que les personnes humaines sont divines. En Dieu je fais de mon temps futur, pour parler le langage de la grammaire, un temps présent, ou plutôt je fais d’un verbe un substantif ; comment y voudrait-on faire une séparation ? Dieu, c’est précisément l’existence qui convient à mes désirs et mes sentiments lui, le Juste, le Bon remplira tous mes souhaits, tandis que la nature et le monde sont l’existence qui est en contradiction flagrante avec eux. Dieu réalise tous mes désirs, voilà la personnification la plus populaire de cette thèse : « Dieu est le réalisateur, » c’est-à-dire la réalisation et la réalité de mes désirs. Augustin dit : si bonum est habere, etc. « Si un corps indestructible est quelque chose de beau, de bon, pourquoi alors désespérer de la force divine qui pourra le faire (Opp. Antw. 1700, V, 698) ? » Le Ciel chrétien est, lui aussi, l’existence qui répond a tous mes désirs ; toute différence donc qu’on voudrait ériger entre Dieu et ce Ciel, est nécessairement nulle : « Quare dicitur spirituale corpus, nisi quia ad nutum spiritus serviet ? Nihil tibi contradicet ex te, nihil in te rebellabit adversus te… Ubi volueris, eris… Credere enim debemus talia corpora nos habituros, ut ubi velimus, quando voluerimus, ibi simus, » dit Augustin (I. c. p. 705. 703) ; nihil indecorum ibi erit, summa pax erit, nihil discordans, nihil monstruosum, nihil quod offendat adspectum » dit le même (I. c. 707), et « nisi beatus, non vivit ut vult (De civit. Dei, I, 14, c. 25). » Ainsi nous disons, que Dieu est ici la force par laquelle l’homme réalise son bonheur éternel ; Dieu est la Personnalité absolue, dans laquelle toutes les personnes individuelles mettent et trouvent la conviction inébranlable de leur félicité et de leur immortalité ; Dieu est la certitude suprême que la subjectivité a de sa vérité et essence absolues.

Il n’y a pas de doute, le dogme de l’immortalité personnelle est la doctrine capitale, la clef de voûte de tout l’édifice religieux ; c’est comme un testament où la religion publie sa dernière volonté ; où elle se prononce clairement et sans fard. Partout ailleurs elle nous parle de l’existence d’un autre être, ici elle parle de celle de l’homme ; ailleurs l’homme religieux fait dériver son existence de