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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

tion des doigts, au goût par l’hostie, enfin à tous les cinq sens du corps. Le point central de la foi catholique est le vicaire de Dieu, le vice-Dieu, le pape. C’est donc ainsi que le Dieu catholique se manifeste intégralement dans l’Église et dans le Pape, qui sont deux faits matériels, deux existences palpables et inséparablement liées l’une avec l’autre. Mais, remarquez-le bien, à cause de cette matérialité, elles sont assujetties aux lois éternelles du temps et de l’espace. L’Église avec son Pape sont deux existences historiques ; or, toute histoire, toute tradition, toute autorité héréditaire est ou mortelle ou déjà morte d’où il suit que le Dieu catholique, le Dieu du miracle par excellence, disparaît nécessairement dotant le Dieu protestant de la parole, qui, à son tour, s’efface devant le Dieu rationaliste de l’intelligence ; enfin, le Dieu de l’intelligence ou de la raison cède à l’intelligence ou à la raison pure : Finis theologiae… La théologie se meurt, l’anthropologie va naître.

Du reste, quand on objecte : « Le Dieu de la foi est identique avec le Dieu de l’amour, » on ne sait pas ce qu’on dit, car un Dieu qui ne laisse à l’homme aucun mérite individuel, un Dieu qui s’approprie tout, un Dieu qui veille éternellement avec jalousie et fureur sur sa gloire divine, ce Dieu-là est bien l’Égoïsme personnifié et déifié, mais il n’est pas la personnification déifiée de l’Amour.

La loi morale telle qu’elle naît de la foi, prend pour son principe et pour son critérium précisément la contradiction la plus effrénée. En effet, comme l’objet suprême de la foi est l’Eucharistie, cet objet qui frappe, pour ainsi dire, la raison au visage, ainsi la plus haute vertu de la morale croyante ou religieuse est nécessairement celle qui se met le plus en opposition avec la nature. Les miracles dogmatiques sont accompagnés de miracles moraux ; voilà au moins de la logique. Ainsi, une morale contre-nature va ensemble avec une foi surnaturelle ; la foi triomphe de la nature (qu’on me passe ce mot), ou de la nature en dehors de l’homme. tandis que la morale religieuse triomphe de la nature humaine ou de la nature intérieure de l’homme. On arrive par-là à un supranaturalisme pratique, dont la pointe est la Virginité céleste, la Sœur des Anges, la Reine des Vertus, la Mère de la Bonté (A. v. Bucher ; Cherchez ce qui est perdu, vol. VI, 131). C’est le catholicisme qui s’en est occupé avec prédilection ; le protestantisme, au contraire, maintient le principe chrétien en y rayant les consé-