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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

le devoir d’être hommes naturels ; vous ne pouvez ressembler aux saints anges sans sexualité qu’après votre entrée au ciel, donc vous avez le devoir de vivre ici bas en pères de famille ; vous ne pouvez malheureusement pas encore vous débarrasser des entraves corporelles, vivez donc dans le corps selon les lois corporelles ; vous deviendrez supra-naturalistes aussitôt que la nature (c’est-à-dire la vie) sera éteinte jusque-là patientez-vous. C’est de la sorte que l’Église des apostats protestants osa parler à l’Église des orthodoxes romains, et elle s’y aperçut si peu du coup mortel qu’elle donna par là au christianisme, qu’elle prétendit faire par cette négation une œuvre très chrétienne, tellement elle était aveuglée par les brouillards intérieurs de sa conscience religieuse. Il en résulta à la fin la possibilité pour le christianisme moderne de nos jours, de faire encore un pas en avant et de se reconnaître dans le christianisme de l’antiquité, ou, en d’autres termes, de s’imaginer que la négation intégrale du christianisme, la négation théorique et la négation pratique, mérite encore d’être appelée christianisme.

Du reste, quand j’ai signalé ici le protestantisme comme la contradiction de la foi et de la vie, et le catholicisme comme leur unité, j’ai voulu par là designer leur principe essentiel.

La foi, a-t-on dit, sacrifie l’homme à Dieu, et on a raison de le dire. Les sacrifices humains avec effusion de sang, dont se trouve mal la tendre susceptibilité de nos modernes, appartiennent à l’essence de la religion, ils ne font que dramatiser sa notion. « Par la foi Abraham a immolé son fils Isaac (Épit. Hébreux, 11, 17). » — Et Jérôme : « Abraham a été bien plus grand, en coupant la gorge à son unique fils à dessein (volantate jugulavit). » — « Jephthé a offert en sacrifice sa fille, une vierge, et à cause de cela il a été compte par l’Apôtre parmi les saints (Epist. Juliano). » — « Voyez les ouvrages de MM. Ghillany et Daumer sur le sacrifice humain dans le culte des Hébreux de l'antiquité. De même dans le christianisme : ce n’est que le sang humain, le sang bouillonnant et fumant qui jaillit des veines d’un homme pur et sans péchés, qui soit capable de mitiger la colère de Dieu et de réconcilier Dieu avec l’homme. Ce sang versé sur la croix possède une force surnaturelle, il fait fléchir courroux de Dieu même, et les chrétiens le savourent dans l’eucharistie pour fortifier par ce moyen mystérieux ou magique leur foi dogmatique. Mais, objectera-t-on peut-être, pourquoi alors ce