Page:Feuerbach - Qu'est-ce que la religion ?,1850.pdf/490

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
478
QU’EST-CE QUE LA RELIGION

dites avec raison que le Fils de Dieu pâtit. Car, en effet, l’une de ses deux moitiés, sa moitié divine, ne pâtit pas, mais l’autre, sa moitié humaine, etc. » — « Voilà le Fils de Dieu égorgé, Dieu en personne est égorgé : car Dieu et l’homme ne font qu’une seule personne ; Dieu est crucifié et assassiné après s’être fait homme. Mais ne dites jamais que Dieu soit mort tout seul et sans s’être uni avec la nature humaine ; il est mort d’après la nature humaine qu’il avait daigné revêtir (Luther, III, 502). Mais cela signifie que les deux natures humaine et divine ne sont point entrées en fusion complète et réelle ; toute leur combinaison se restreint à une personnalité, à un nomen proprium ; en d’autres termes, cette union ineffable n’est que nominale. Or, ce qui n’est que de nom n’est pas essentiel  ; c’est une chimère, une illusion : lisez, par exemple, J. -F. Buddéus (Comp. Inst. Théol. dog. IV. c. 2. § 11) : «  Quando dicitur, homo est Deus vel Deus est homo, propositio ejus modi vocatur personalis. Ratio est, quia unionem personalem in Christo supponit. Sine tali enim naturarum in Christo unione numquam dicere potuissem, Deum esse hominem aut hominem esse Deum… Abstracta autem naturae de se invicem enuntiari non posse, longe est manifestissimum. Dicere itaque non licet, divina natura est humana, aut deitas est humanitas, et vice versa. » Bref, la rupture entre Dieu et l’homme est plus prononcée que jamais. Et remarquez que cette vieille scission entre les deux extrêmes n’est que d’autant plus affreuse, cachée qu’elle est sous l’apparence d’une conciliation, sous une union illusoire. Le socinianisme est donc dans son bon droit, quand il frappe non-seulement la Trinité, mais aussi l’Homme-Dieu ; le socinianisme est rigoureux dans ses conséquences. Dieu, cet être en trois personnes, doit en même temps être le véritable Ens simplicissumum, le socinianisme oppose les deux déterminations contraires, et proclame de la sorte une contradiction en la niant haute voix, qui avait été conservée, pour ainsi dire gardée en secret, par la doctrine trinitaire. De même relativement à l’homme-Dieu : sa moitié humaine et sa moitié divine restent constamment en dehors l’une de l’autre, parce que l’une et l’autre sont censées subsister côte à côte sans s’altérer.

Mais, malgré tout cela, les chrétiens ont solennisé l’incarnation de Dieu comme une œuvre de l’amour, comme une immolation de Dieu par Dieu, comme une abnégation de sa majesté : amor