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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

ration s’adresse non à la chair qui n’est qu’une forme, qu’une enveloppe, mais a Dieu qui s’y est renfermé. » Cette excuse ne vaut rien ; pas plus que quand on s’en sert pour justifier l’adoration des images et des saints. Je l’ai discutée au fond plus haut, et ici je n’en dirai que deux mots.

On adore les saints dans les images, on adore Dieu dans les saints et cela par nul autre motif que parce qu’on adore les saints mêmes les images mêmes. Par conséquent, on n’adore Dieu dans la chair humaine que parce que la chair humaine même est adorée. Si elle était quelque chose d’impur, d’entièrement méprisable, on ne penserait pas à la mettre en rapport avec Dieu. La valeur de la chair humaine lui est innée, c’est une valeur intrinsèque ; s’il en était autrement, si par conséquent la chair humaine avait besoin d’une influence étrangère à son essence pour devenir digne d’être le réceptacle de Dieu, alors Dieu pourrait aussi choisir pour réceptacle ou véhicule la chair d’un animal quelconque. Vous répliquez peut-être : « L’homme n’est que l’organe par lequel, dans lequel la divinité agit à peu près comme l’âme agit dans le corps et par le corps » : mais cette réplique est déjà réfutée par ce que je viens de dire. Dieu ne choisit l’homme pour organe d’action que parce qu’il ne trouva point ailleurs un organe d’action aussi digne, aussi convenable, aussi agréable sous tous les rapports. Soyez-en persuadés, le Dieu chrétien se serait incarné animal terrestre ou aquatique, comme chez les Hindous, si le corps humain lui eût été indifférent. Ainsi, Dieu sort de l’homme pour rentrer dans l’homme.

L’apparition du Dieu chrétien sous forme humaine n’est donc rien autre chose qu’une manifestation de la grandeur de l’être humain, la majesté de Dieu n’est qu’un écho de la majesté de l’homme : Noscitur ex alio qui non cognoscitur ex se. Dieu n’est reconnu que quand on a reconnu l’homme : vous avez beau connaître le minéral, le végétal, l’animal même, vous ne connaissez pas encore pour cela Dieu. Le Dieu chrétien honore l’homme de sa présence personnelle, il vient demeurer dans l’homme : Dieu a donc une prédilection pour l’homme. Or, si vous avez une prédilection pour un objet, vous pouvez en conclure qu’il est votre essence objectivée : Dieu ne demeure que dans ce qui est divin, il n’agit par et dans ce qui est divin. Un grand poète a dit : « Si l’œil hu-