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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

réduisant à ses éléments humains, et je dois répéter ici encore une fois que le Dieu incarné, le Théanthrope, n’est point dans ma philosophie ce qu’il est dans celle de Hegel ; je n’en fais point un composé de contradictions, j’en fais un jugement analytique et non un jugement synthétique ; la base et le résultat de mon livre est l’identité de l’essence humaine avec elle-même, et point l’identité de l’essence humaine avec une essence non-humaine. La philosophie religieuse hégelienne plane dans l’air, la mienne reste solidement sur la terre ; la sienne manque de la passion, du besoin, du pathos, comme dirait un moraliste, elle n’a pas de base la mienne donne à la religion pour base l’anthropologie. Le grand Hegel, qu’on me permette de le dire, avait en outre le malheur d’être professeur universitaire, et cette petite circonstance explique peut-être beaucoup. On n’est guère libre quand on est professeur public de la philosophie, et on oublie vite qu’elle a le but sacré de faire de l’homme un philosophe tout en faisant du philosophe un homme. Le vrai philosophe est un homme universel, il a de l’intelligence pour toute l’humanité, il s’est émancipé des étroites limites de l’individualisme son regard connaît toutes les misères, toutes tes mesquineries, mais il est ouvert en même temps au soleil du genre humain, à l’idée de la totalité. Leibnitz, Spinosa, Descartes, Giordano Bruno, Campanella, étaient des philosophes, mais ils n’étaient pas des professeurs de philosophie, et ce n’est qu’avec Wolff que cette science vivante et universelle est devenue une science de faculté universitaire. Les universités n’en voulaient point d’abord, elles étaient parfaitement contentes de leur science morte ; à Leipzig les professeurs furent obligés de rester dans le règlement, c’est-à-dire ne point quitter l’aristotélisme (voyez Elswich, de varia Aristotelis fortuna, 1720, p. 73, p. 68), et les universités autrichiennes prêtèrent serment à l’empereur Ferdinand III d’enseigner la doctrine de la Conception de la sainte Vierge (voyez Jœcher, Dictionn. des savans, art. J. Gans). Ce déplorable scolasticisme universitaire a-t-il enfin cessé d’exister ? Non, mais il sera brisé, brisé par la réaction antiphilosophique qui exclut déjà les philosophes indépendants d’une chaire et fait d’eux autant d’anthropologistes.

Notre Hegel était encore un docteur semi-scolastique ; il appartenait à l’Ancien Testament de la philosopha. Le Nouveau Testament sera humanitaire et triomphera de l’Ancien. Les plus simples