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MARGUERITE DE NAVARRE

 Vertu peu vaut, s’il n’y abonde
 Par son esprit force et valeur :
 Las, vous en seriez possesseur,
 Si de David aviez la fronde ;
 Mais vous êtes mauvais chasseur.

 Ce que cherchez est dans le bois
 Où ne va personne infidèle ;
 C’est l’âpre buisson de la croix,
 Qui est chose au méchant cruelle :
 Les bons veneurs la trouvent belle ;
 Son tourment est leur vrai plaisir.
 Or, si vous aviez le désir
 D’oublier tout pour cet honneur,
 Autre bien ne voudriez choisir ;
 Mais vous êtes mauvais chasseur.

 Lors quand le veneur l’entendit,
 Il mua[1] toute contenance ;
 Et, comme courroucé, lui dit :
 Vous parlez par grande ignorance.
 Il faut que je détourne et lance
 Le cerf, et que je coure après ;
 Et vous me dites par exprès
 Qu’il ne s’acquiert par mon labeur.
 Seigneur, le cerf est de vous près ;
 Mais vous êtes mauvais chasseur.

 S’il vous plaisait seoir et poser
 Dessus le bord d’une fontaine
 Et corps et esprit reposer,
 Puisant de l’eau très-vive et saine,
 Certes, sans y prendre autre peine,
 Le cerf viendrait tout droit à vous ;

  1. Muer, mutare, changer. Il changea de contenance…